Le sommet de l’intelligence artificielle à Paris met en avant la technologie, reléguant l’écologie au second plan.
Le président Emmanuel Macron a récemment pris la parole lors du sommet de l’IA à Paris. Il y a souligné l’importance cruciale de l’intelligence artificielle dans l’avenir économique et industriel de la France.
Pourtant, cet engouement technologique est actuellement en totale contradiction avec la nécessité de transformer nos modèles économiques et sociaux pour aller vers plus de sobriété. Il me semble qu’il avait promis que son « quiquénnat sera écologique ou ne sera pas » …
« Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots » … Pourtant, si nous voulons réellement prendre en compte l’écologie et assurer un avenir viable à notre planète, il est urgent de changer. Nous devons cesser de voir la technologie, l’intelligence artificielle en l’occurrence, comme une solution miracle. Nous devons questionner ce techno-solutionnisme aveugle qui nous mène droit dans le mur.
Un modèle incompatible avec la transition écologique
L’IA, comme toute avancée technologique, repose sur une infrastructure de serveurs énergivores, de ressources rares. L’essor du numérique s’accompagne d’une explosion des besoins en électricité et en minerais. Ce qui accentue encore davantage notre empreinte écologique. La communauté scientifique s’accorde sur le fait que la sobriété est la seule voie réaliste. La seule voie pour limiter le changement climatique, l’épuisement des réserves, l’augmentation de diverses pollutions mortelles et la destruction de la biodiversité. Pourtant, les politiques et industriels persistent à promouvoir un modèle de croissance infinie soutenue par des innovations énergivores.
Un rapport récent du NEPC met en avant les étapes fondamentales et les actions clés pour minimiser les risques pour l’environnement, les populations et l’économie.
L’intelligence artificielle constitue un levier puissant pour accélérer la transition vers des émissions de carbone nulles et renforcer la durabilité environnementale. Elle permet d’optimiser la consommation énergétique. Celle-ciintervient dans la régulation de la demande sur le réseau, de limiter le gaspillage, de surveiller l’état des écosystèmes. Elle facilite l’évaluation de l’impact du changement climatique ainsi que de l’efficacité des stratégies d’adaptation.
Ces dernières années, les progrès des systèmes et services d’IA ont été principalement dictés par une course à la puissance et à l’échelle, nécessitant des quantités croissantes de puissance de calcul. En conséquence, la taille de ces systèmes augmente à un rythme sans précédent par rapport à d’autres technologies énergivores, souvent sans réelle considération pour l’efficacité des ressources. Cette tendance est préoccupante, car elle expose au risque bien réel que le développement, le déploiement et l’utilisation de l’IA causent des dommages irréversibles à l’environnement. – Professeur Tom Rodden / Université de Nottingham
L’IA génère des bénéfices environnementaux et sociétaux non négligeables, c’est certain. Cependant, ses systèmes et services doivent être conçus dans une optique de durabilité tout au long de leur cycle de vie. Leur développement et leur utilisation mobilisent des ressources comme l’énergie, l’eau et certains matériaux critiques. De plus, en accentuant la demande énergétique, l’IA complique la transition vers un système électrique décarboné.
Le discours de Macron, en parfaite continuité avec celui des dirigeants de la Silicon Valley, perpétue l’illusion d’un progrès fondé sur la technologie comme unique horizon. Pourtant, aucune avancée technique ne pourra compenser l’impasse énergétique et écologique dans laquelle nous nous enfonçons. Plus d’IA, c’est plus de data-centers, plus de fabrication d’équipements et donc plus de pollution et de consommation d’énergie. Où est la cohérence avec les objectifs de réduction des émissions de CO2 et de protection de la biodiversité ?
La loi de l’instrument
La société moderne, et en particulier ses élites politiques et économiques, semble piégée dans un raisonnement simpliste. On pourrait le qualifier de « Loi de l’instrument » ou « La théorie du marteau et du clou ». Abraham Maslow disait : « Si vous n’avez qu’un marteau, tout ressemble à un clou. » Nos décideurs voient l’ensemble des problèmes contemporains sous le prisme de solutions technologiques. Ils les appliquent de manière systématique et mécanique, sans remettre en question le fond du problème. Notre mode de vie est non soutenable et notre consommation folle. C’est bien pratique puisque cette vision du progrès évite toute remise en cause du système et maintient ainsi les privilèges de la classe dominante.
Toute chose ressemble à un clou, pour celui qui ne possède qu’un marteau – Abraham Maslow
Dans cette logique, l’intelligence artificielle et l’innovation numérique sont devenues des totems indiscutables. Plutôt que de s’interroger sur la nécessité de repenser notre rapport à la croissance, aux ressources et à l’énergie, on investit massivement dans des solutions qui ne font qu’aggraver la crise. Cette fuite en avant ne fait que repousser l’inévitable : le besoin d’un changement systémique et d’une transition vers la sobriété.
Allez dire ça à tous ces illustres personnages qui font l’actualité à coups de messages sulfureux : ils vous riront au nez et vous élimineront afin de ne surtout pas avoir à remettre en cause leur modèle, celui qui les enrichit, celui qui nous détruira si nous n’essayons pas d’en limiter l’impact sur le vivant.
Le techno-solutionnisme : un mirage
Le mythe du progrès technologique salvateur est entretenu par un discours dominant. L’ingénieur et l’industriel imposent leur vision du monde. Les États, ayant tout abandonné au privé depuis plus de 50 ans, ne peuvent que contempler le désastre de leur inaction. Le discours mis en avant par ce secteur privé ultra-puissant est martelé sur tous les médias. Ce discours consiste à dire que chaque défi écologique, chaque crise énergétique, chaque effondrement des écosystèmes pourra être résolu par une avancée technologique encore inexistante. Ce raisonnement repose sur une foi quasi-religieuse dans l’innovation. Jamais on n’intègre le fait que la croissance matérielle est incompatible avec un monde aux ressources finies.
C’est certain, croire et espérer est sans doute plus simple que de décider de changer. Nous sommes pourtant dans le mythe d’Elysium, le film. Elysium (de 2013), réalisé par Neill Blomkamp, est un film de science-fiction dystopique se déroulant en 2154. La Terre est surpeuplée et ravagée par la pollution. Les riches vivent dans une station spatiale luxueuse appelée Elysium, où la technologie avancée leur assure une vie sans maladies ni souffrances. C’est exactement l’avenir que nous décrivent quelques dirigeants célèbres de l’IA et du commerce mondial. L’un d’eux promet que l’humain va pouvoir partir sur Mars… sous-entendu avant que la planète ne devienne invivable.
Or, sauf découverte miraculeuse et hautement improbable, aucune technologie ne pourra contrecarrer la réalité physique. La planète a des limites, et nous les avons déjà dépassées. Aucune technologie ne permettra à des milliards d’êtres humains de changer de planète. Pas de planète B pour l’humanité, n’est-ce pas Greta ?!
La seule véritable alternative consiste à réduire nos consommations, repenser nos modèles économiques et sociaux. Il nous faudra donc sortir du paradigme de l’innovation débridée pour nous tourner vers un modèle de sobriété choisie. Mais ce message est inaudible dans un monde où la compétitivité et l’obsession du rendement immédiat priment sur la préservation du vivant.
Vers une autre vision du progrès
Plutôt que d’encourager une IA toujours plus gourmande en ressources et énergétiquement insoutenable, les décideurs politiques devraient rediriger les investissements vers des solutions éprouvées et efficaces. Le futur doit être la relocalisation de l’économie, la réduction des consommations superflues, la préservation des écosystèmes, la sobriété numérique et énergétique. Ces choix ne sont ni utopiques ni impossibles, mais nécessitent une remise en question radicale des dogmes dominants.
Loin d’être un moteur de résilience, l’intelligence artificielle risque de nous enfermer un peu plus dans une logique extractiviste et productiviste délétère. La véritable question n’est pas de savoir comment optimiser l’intelligence artificielle au regard de l’écologie. Il s’agit bien de savoir comment sortir de cette dépendance à la technologie qui nous empêche de voir l’évidence. Cette évidence est que le futur ne pourra être viable que si nous acceptons de ralentir et de redéfinir nos besoins. Autrement dit, ce n’est pas d’une révolution numérique dont nous avons besoin pour le moment, mais d’une révolution de la sobriété et d’un retour au réel bon sens.