Tous les rapports scientifiques le prouvent: continuer à utiliser les énergies fossiles comme le pétrole ou le gaz nous mène droit dans le mur et voue le monde à un avenir bien périlleux.
Pour autant, une fois qu’on a dit cela, on n’a rien dit et surtout on n’a rien fait. C’est effectivement là que ça se complique. Arrêter d’utiliser du pétrole est bien plus complexe qu’il n’y parait à la suite de la lecture de ces rapports.
Sortir des énergies fossiles: une nécessité
Sortir du pétrole et des énergies fossiles est une réelle nécessité pour le monde entier. Le but est d’arriver à limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, seuil fixé par l’Accord de Paris. Ces énergies représentent environ 75 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. D’où une accélération des catastrophes climatiques (canicules, tempêtes, montée des eaux). Leur combustion cause aussi 8 millions de morts par an à cause de la pollution de l’air. Les réserves s’épuisent. Il reste environ 50 ans de pétrole au rythme actuel. De plus, la transition énergétique pourrait créer 30 millions d’emplois d’ici 2030 dans les renouvelables.
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Nous en sommes encore loin, comme en témoigne ce graphique datant de 2023 avec des données de 2022. En 2023, ces subventions ont légèrement diminué par rapport à 2022, tout en restant supérieures à celles des années précédentes. Nous tournons toujours autour des 1000 milliards de dollars de subventions. Il y a peu de chances que la situation s’améliore considérablement dans les années à venir. Avec un président américain qui promet de forer toujours davantage pendant son mandat, l’avenir semble mal engagé!
C’est affligeant certainement. Cela met malgré tout en évidence que le fait de sortir du pétrole reste une mission quasi impossible. Tout du moins sans changement complet de nos sociétés. Sans changement de notre manière de produire, de notre industrie, de ce que nous attendons tout simplement de la vie …
Un problème parmi d’autres
Le problème, c’est que la sortie des énergies fossiles n’est qu’un défi parmi tant d’autres. Même si nous parvenions, par un coup de baguette magique, à le résoudre, nous resterions en grand danger en regardant à l’horizon 2100 et au-delà. Sans minimiser la menace que représente le changement climatique pour l’humanité, il n’en demeure pas moins que d’autres périls tout aussi graves nous guettent : raréfaction des ressources naturelles, pollutions multiples affectant de plus en plus la santé des êtres vivants, extinction massive du vivant (cf. Rapport IPBES), crise de l’eau, effondrement du système assurantiel, creusement des inégalités et migrations incontrôlées, montée des extrémismes, fragilisation des démocraties… Et la liste est encore longue.
Il est donc clair que le problème ne se limite pas au climat. Réduire l’avenir de l’humanité à cet unique enjeu est une erreur et pourtant, c’est ce que nous faisons. À force de focaliser l’attention sur la lutte contre le dérèglement climatique, nous avons tendance à minimiser les autres crises. Nous les dissocions, nous les hiérarchisons, alors qu’elles sont intrinsèquement liées. C’est bien notre mode de vie et notre vision du monde comme un immense supermarché à piller qui nous conduisent droit dans le mur – indépendamment du fait que la crise climatique, bien réelle, en soit l’un des symptômes les plus visibles.
Un choix de société avant tout
Alors oui, le monde va devoir abandonner les énergies fossiles à plus ou moins long terme. Mais là encore, un biais cognitif nous empêche de réfléchir sérieusement. Cette déviation systématique du raisonnement ou du jugement humain influence la manière dont nous percevons, interprétons et prenons des décisions. Avant même d’agir, nous devons en prendre conscience et nous en libérer. Car l’enjeu n’est pas simplement de résoudre la crise climatique, mais de repenser la place de l’Homme sur la planète Terre.
Nous devons, en quelque sorte, réinventer le sens du monde et redonner à nos vies une autre direction. Un sens qui intègre pleinement le fait que la « nature » n’existe pas comme une entité séparée, qu’il n’y a pas d’un côté l’Homme et de l’autre « les autres », ni de frontière entre la société humaine et le reste du vivant.
Philippe Descola, anthropologue français, soutient que la notion de « nature » est une construction culturelle propre à l’Occident. Pour lui, elle ne correspond pas à une réalité universelle. Selon lui, la séparation stricte entre nature et culture n’existe pas dans toutes les sociétés. Il distingue plusieurs façons dont les humains perçoivent le monde, notamment le naturalisme propre à l’Occident, qui oppose l’humain à la nature et justifie son exploitation. À l’inverse, d’autres visions, comme l’animisme ou l’analogisme, permettent une relation plus intégrée avec le vivant, offrant ainsi une plus grande résilience à l’espèce humaine.
La manière dont l’Occident moderne se représente la nature est la chose du monde la moins bien partagée. – Par-delà nature et culture
Philippe Descola
Philippe Descola invite à repenser notre relation à la nature en critiquant l’idée qu’elle serait une entité extérieure à l’humain. Il souligne que d’autres cultures perçoivent le monde différemment, ce qui remet en question notre manière de gérer l’environnement et ouvre de nouvelles perspectives sur les enjeux écologiques, économiques, sociaux et politiques.
Pétrole et industrie
Prenons l’exemple de l’industrie. Historiquement, elle vise à massifier la production pour réduire les coûts et offrir une indépendance économique. Grâce aux énergies fossiles, notamment le pétrole, les industriels développent des outils puissants, produisent à grande échelle et délocalisent dans des zones du monde à faible coût. Ce modèle capitaliste, dominant depuis la fin des années 1970, montre ses limites, notamment depuis la crise du Covid-19, qui a révélé la fragilité des chaînes d’approvisionnement mondialisées. Pourtant, nous restons enfermés dans ce système. Un système qui défend certes le pouvoir d’achat des consommateurs, mais demeure extrêmement destructeur pour l’environnement et peu soucieux des générations futures. Ne mettons pas tout le monde dans le même sac : certaines entreprises et associations visionnaires agissent activement afin de pousser le système à réduire sa dépendance au pétrole.
Revenir à une production exclusivement locale est irréaliste dans un monde qui s’approche des 10 milliards d’habitants, c’est certain. Il s’agit donc de faire des choix collectifs, à l’échelle nationale, européenne ou mondiale. Quelles priorités voulons-nous donner à nos vies ? Comment assurer un avenir viable sans compromettre l’environnement ? Souvenons-nous aussi que la planète « survivra » sans nous. L’inverse n’est pas vrai !
C’est là que les choses se compliquent, surtout dans des pays comme la France, où l’industrie s’est effondrée depuis 40 ans. Un pays dans lequel le modèle social est sous pression financière et où les déficits atteignent des niveaux abyssaux. Que devons-nous préserver en priorité ? Quel mode de vie voulons-nous adopter ?
Sortir des énergies fossiles est donc bien plus qu’une simple contrainte technique ou économique. Elles sont partout. Supprimer les énergies fossiles, c’est remettre en question les plastiques qui envahissent notre alimentation, nos transports, nos vêtements, nos bâtiments. Le pétrole ne sert pas qu’à alimenter nos voitures : il structure toute notre société. Dès lors, la transition énergétique (de l’industrie notamment) ne peut être envisagée sans une transformation radicale de notre modèle économique et de notre rapport au monde.
Impossible d’exiger de l’industrie qu’elle modifie ses modèles économiques, ses chaînes de production et d’approvisionnement si, en amont, aucun changement de paradigme n’est envisagé, préparé et financé. Sortir du pétrole, réindustrialiser un pays, réussir une transition énergétique ne relèvent pas simplement d’une série de défis techniques, mais bien d’un choix de valeurs et de priorités. Quel sens voulons-nous donner au monde ? Quelle société souhaitons-nous bâtir ? Quelles industries conserver et comment les accompagner dans cette mutation ?
Ce défi est loin d’être gagné. Partout, notamment aux États-Unis, un vent libéral et populiste souffle fort, prônant le retrait de l’État et réduisant ainsi les capacités d’action collective. Il y a de quoi s’inquiéter. Depuis plus d’un demi-siècle, les scientifiques alertent sur la nécessité de transformer le modèle occidental de production, mais la classe politique s’est discréditée par son inaction. Pendant ce temps, les acteurs privés ont pris un pouvoir considérable et définissent eux-mêmes les règles, sans véritable souci des conséquences pour les générations futures.
Faut-il attendre un grand effondrement pour que nous reconstruisions une relation au monde plus équilibrée et résiliente ? Probablement. Et c’est bien là le plus triste.